Interview dans Clark Magazine
(par Guillaume Le Goff, 2002)


1/ D'où vient l'idée de "Vaquette", ce personnage que tu incarnes, que tu représentes, que tu vis... ?

Pour aller très et trop vite, disons que Vaquette, c’est la meilleure part de moi-même, ou, plus exactement, celle que je souhaite transmettre, montrer aux autres, celle qui me permet de "gérer" la relation sociale. Après, le temps, la pugnacité, le courage (j’entends, l’antonyme de lâcheté, bien sûr, mais également celui de paresse), l’opiniâtreté, l’humilité aussi - eh oui ! - qui métamorphose un désir, un concours de bite outrecuidant et bravache, en une réalité tangible… nous sommes là, semble-t-il, au cœur de la foi (l’une des trois filles de la Sagesse, rappelons-le, avec l’espérance et l’amour), celle qui mène les chrétiens dans l’arène et les musulmans dans le World Trade Center, je veux dire, en plein délire nietzschéen : "transformer tous les "cela fut" en un "c’est là ce que j’ai voulu" - voilà ce que j’appellerai d’abord rédemption. Vouloir délivre".


2/ Pourquoi t'appelles t'on "l'Indispensable" ?

Plaît-il ? La réponse n’apparaît pas d’évidence ?


3/ Te considères-tu comme un "rebelle", voir un "subversif" et si oui, pourquoi et comment ?

L’arme favorite de l’imposture est la confusion des termes, et il semblerait que la "rebellitude", pour la plupart, consiste à gueuler "Nique la flic" en écoutant servilement du hip-hop ("J’veux voir tout le monde la main en l’air"…), à défiler en masse contre Le Pen, et à exiger via Internet la libération de José Bové. Moi, je préfère chanter place de la Bastille "Vive Le Pen" droit dans la face des manifestants du 1er mai 2002, tout en étant clairement, évidemment, réellement "anti-fasciste", mais en mettant le doigt sur l’immense imposture qu’est la religion droit-de-l’hommienne et anti-raciste, sur le "Tout le monde derrière, comme en 14, et pas une tête ne dépasse" qui prétend pourtant résister au totalitarisme : 80% de résistants en France, quel progrès en 60 ans ! Disons qu’il me semble plus pertinent de "dénoncer" la lâcheté individuelle quand chacun justifie ses propres reniements par un "C’est la faute à" : la télé, les fachos, les patrons, les racistes… pour les uns ; les arabes, l’État, le porno, Ben Laden… pour les autres ; et que l’engagement, "la rebellitude", ne consiste, semble-t-il, qu’à choisir son camp entre ces deux possibles, ces deux chapelets de boucs émissaires. En ce sens, je ne suis pas un "rebelle", un "subversif ", car je n’ai aucune aspiration à remplacer le "système" par un autre, simplement, je tente de "le" délégitimer un tant soit peu afin de l’affaiblir, de restreindre son pouvoir de nuisance : le pouvoir qu’un flic, qu’un militaire, que la loi a ou peut avoir sur vous, bien sûr, mais aussi celui que la morale, que toutes les morales ont sur nous, et puis, celui que l’amoral, le cynique voudrait avoir sur tous, dans la réalité économique, ou dans sa relation aux autres, à l’autre, et puis encore, celui des certitudes dominantes, de tous les mensonges incontestables et admis qui font une société à une époque, et qui seront bien vite remplacés par d’autres (mensonges), par les mêmes (personnes).


4/ A notre époque (...), penses-tu que le "look" puisse être un vecteur de marginalisation (à l'heure où toutes les anti-modes nourrissent les modes...) ?

Ta question et perverse et (conséquemment ?) intéressante, parce que la première réponse qui vient à l’esprit est évidemment non : il est aussi conformiste d’être branleur de banlieue en Nike que cadre à IBM en cravate (Et celui qui dit "Ouais trop cool, t’as raison Vaquette, vas-y, balance", que celui là regarde son jean, son bomber, son t-shirt blanc, noir ou "fun", ses Weston, ses Doc’s, que sais-je ? et qu’il se demande s’il ne ressemble pas justement à ce qu’il est, s’il n’est pas finalement rien d’autre qu’un singe.) Et puis, à l’inverse, il est absolument manifeste que mon "look" est un filtre prodigieusement efficace qui parle de moi vite et plutôt bien, qui m’attire la méfiance et l’agressivité de ceux qui pensent qu’il n’est aucun salut hors des règles (que ces règles soient la loi, la religion, la pensée officielle du parti ou de la bande, le règlement intérieur, ou le "Tu te rends compte si tout le monde fait ça !"), mais aussi d’emblée la sympathie des autres. En fait, le look est un outil, et, comme tous les outils, il n’est jamais rien d’autre que ce que l’on en fait. L’immense majorité l’utilise pour marquer son appartenance à un groupe, à une meute, mais il peut aussi être utilisé par certains (très et trop rares) dans un but strictement opposé, pour marquer leur volonté de s’affranchir de tout modèle, pour tenter d’afficher leur propre personnalité, leur "moi" réel contre le "surmoi" social (dirait tonton Freud). En ce sens, mon look est aussi un outil de délégitimation (voir question précédente), une preuve visible qu’une certaine émancipation à l’encontre de la contrainte sociale (au sens large, il n’y a bien sûr aucune loi qui oblige à porter l’uniforme ou la barbe en France) est possible, mieux, qu’elle est souhaitable (au yeux de ceux à qui il paraît sympathique du moins).


5/ Quelle serait ta définition de l'élégance ?

Préférer une belle défaite à une victoire sans grâce.


6/ Peux-tu un peu décrire tes spectacles, tes représentations ?

Ta petite sœur est slovène (ou papou, ou trisomique) et elle ne comprend pas un traître mot de notre jolie langue ? Convie-la à un spectacle de l'IndispensablE, et probablement n’y verra-t-elle que du café-théâtre musical, un brin rock’n’roll pourtant car je joue dans les squats ou les bars punks, jamais au Point Virgule. Si elle comprend, là, elle risque de trouver cela infiniment plus hard-core, "trash-intello" s’il faut vraiment une étiquette. "Trash", car les faveurs de la demi-culture Télérama (comme on dit demi-mondaine) me sont absolument interdites, " Intello", car je ne suis pas nu sur scène, je ne fais pas de bruit avec des guitares saturées, et je ne prône aucun sacrifice de flic au machinegun.


7/ Ta meilleure anecdote là-dessus ? Un truc de dingue qui a pu t'arriver justement...

Un seul ?! Allez ! Festival d’Avignon 1998 : pneus de la voiture crevés, pare-brise cassé deux fois, affichage décroché par la mairie, plainte officielle au directeur de mon théâtre, une autre à monsieur le maire, des insultes et des crachats quotidiens, trois agressions physiques pour finir - ajoute à cela deux accidents : un tonneau sur l’autoroute en y allant, et une hémorragie interne au genoux après un choc dans la rue contre une bite (authentique) - "Trash-intello" on a dit, non ?


8/ Niveau musical et autres références culturelles, où te situes-tu ?

Tremble, ami-camarade journaliste, car, s’il faut être exhaustif, Clark va bientôt posséder 1515 pages au grand dam de tes lecteurs et pour la bonne fortune de ton imprimeur. Allez, dix noms au hasard, mais je voudrais t’en donner cent : Bloy, Wampas, Tilly, Greenaway, Costes, Bernanos, Godard, Bérurier Noir, Sade, Ferré. Tous "trash-intello" (toujours…) c'est-à-dire à la fois habités par une ambition, une prétention artistique gigantesque, mais refusant violemment la "poétisation" des choses qui n’est, pour la plupart, qu’un tour de passe-passe qui transforme "J’ai envie de t’en mettre une, une grosse, dans le cul, tout de suite", en "Tes yeux sont si jolis, tu es intelligente."


9/ Tes projets

D’abord, trouver pour mon premier roman ("Je gagne toujours à la fin") un éditeur dont les humbles génitoires soient à l’égal de sa prescience en matière de postérité, puis achever avant la patience de mon fidèle public l’écriture de mon prochain spectacle ("Crevez tous") qui devrait, je l’espère, voir le jour courant 2003. Essentiellement, conserver l’envie de poursuivre ma "quête" et pouvoir dans dix ans me regarder avec la même fierté qu’aujourd’hui – bon d’accord, je mens. Mes projets ? la gloire, les tasses, Ardisson, la grosse caillasse et la paire de Nike – pour le reste : www.vaquette.org/actualite.

 

 Retour