Chapitre 16
:
Trop facile

du 3 avril 1944

Nuit du 3 avril 1944.

— Voler une voiture, tu sais faire ça, bien sûr ?

— Évidemment. No moule. Trop facile. Mais moi, j’ai fait mes preuves. Tu peux demander partout. Victor Hugo, il est connu. C’est à vous de me montrer ce que vous savez faire. Vas-y, toi.

J’y vais, moi.

Un coup d’œil à gauche, un coup d’œil à droite, un couteau dans la serrure, trente secondes, la porte s’ouvre. J’arrache les fils, mets le contact, la voiture démarre. Dix minutes plus tard, nous nous garons à cent mètres de la kommandantur. Nous descendons.

Bixente et Victor – ça ne le fait pas, hein ? si vous voulez bien, je vais l’appeler Stéphane, c’est son vrai nom, Stéphane Pipard, même si je ne suis censé l’apprendre que chapitre 31. Bixente et Stéphane, donc, fortement armés se dirigent vers l’aile gauche du bâtiment, l’aile carcérale, afin d’assurer une diversion. Artémise et moi, nous attendons sous un porche en face du mur d’enceinte, du côté opposé à leur intervention.

Quelques minutes s’écoulent avant que nous n’entendions les premiers coups de feu, les premières explosions. Nous traversons la rue, je lance la corde par-dessus le mur, le crochet s’agrippe à son sommet, et nous franchissons sans peine les trois mètres avant de redescendre de l’autre côté, toujours grâce à la corde. Les projecteurs, les gardes nous ignorent, tout juste comme un an plus tôt. Dans la cour, c’est l’affolement, on entend encore des tirs, des explosions, auxquels s’ajoutent à présent des cris, des aboiements. Dans l’obscurité, longeant le mur, nous progressons vers l’entrée du bâtiment principal. Une dizaine d’hommes armés en sortent pour courir vers l’aile gauche tout en finissant de boutonner leurs uniformes, puis, c’est le calme absolu. Ici j’entends.

Il ne reste que deux gardes devant la porte. Le plus proche me tourne le dos, je place mon avant-bras sous sa gorge que j’écrase. Le deuxième garde fait alors un geste vers son arme, puis l’arrête, le revolver d’Artémise à quelques centimètres de son visage. Je cogne la tête du garde contre le mur pendant que le second reçoit un coup de crosse : ils s’écroulent au même instant. Nous montons en courant le grand escalier sans croiser personne. Dehors, l’agitation continue. Nous fonçons droit vers le bureau du commandant de la place. Devant la porte, un soldat en arme. Il nous voit, braquant nos armes sur lui, lève les mains. Nous entrons tous les trois dans la pièce, elle est vide. Je décroche le faux Bruegel (Le Triomphe de la mort), pose un pain de plastic sur le coffre qui explose sous les yeux du garde désarmé, tremblant.

Je sors tout, je fouille, je consulte les dossiers, tous top secrets, mais rien de ce qui nous intéresse. Dehors, l’agitation est à son comble.

— Es-tu sûr d’avoir bien regardé partout, Tristan ?

— Oui.

Et puis, un flash.

— Non.

Je passe ma main à l’intérieur du coffre, sur l’arrière, le dessus, les côtés, il n’y a rien. Le dessous, lui, présente en revanche une fine rainure qui en fait le tour. Je cherche un système d’ouverture, mais, s’il s’agit d’un double-fond, la serrure n’est pas apparente. Je place une nouvelle charge, elle explose, suffisamment fortement pour laisser apparaître un espace entre le coffre et sa base, mais insuffisamment pour désolidariser les deux parties.

— Bitte ? (c’est de l’allemand).

Je saisis le fusil du garde, glisse le canon dans l’interstice, force, et le double-fond cède, laissant apparaître un deuxième coffre aussi grand que le premier.

— Danke.

À l’intérieur, de nouveaux dossiers top secrets, probablement plus utiles que les précédents.

— Dépêche-toi Tristan, il semblerait que cela se calme dehors.

— D’accord. Assomme le garde, j’arrive tout de suite.

Artémise assomme le garde. J’arrive tout de suite.

Je place tous les dossiers en vrac sur une table de réunion, prends en main les quatre coins de la nappe qui la recouvre, et sors ainsi avec mon sac improvisé. Dans l’escalier, de nouveau personne. Dans la cour, toujours personne, si ce n’est les deux gardes à terre. Nous courons vers la corde, Artémise grimpe la première, aisément. J’attache les quatre coins de la nappe, lui lance, et, quelques secondes plus tard, nous sommes au pied du mur, à l’extérieur. À cet instant précis, une voiture approche, une voiture noire, tous feux éteints.

— Vous foutiez quoi ? faignants.

Ajout

Soyez gentils, lâchez-moi avec l’orthographe de « faignant ». Faignant c’est le popu pour fainéant, ce qui, dans l’utilisation interjective que j’en fais, me semble être la graphie correcte.

Fin de l’ajout

— Rien, un léger problème avec le coffre. L’Allemand est cachottier, sais-tu ? Heureusement, le Français est curieux.

— Oui, mais le Basque est pressé.

Nous montons.

Bixente au volant roule très vite. Au loin, quelques explosions, encore.

— C’est quoi ça ?

— Des bombes à retardement que j’ai posées, au cas où, pour pas vous presser, tous les deux, dans le noir.

— Oh ! grande est ta mansuétude. Allez ! roule, on changera de voiture au dernier bled avant d’arriver. D’ici là, on se tait, Vaquette réfléchit.