Chapitre 19
:
Victor Hugo est un enculé

Au douzième coup de minuit, je coupe le fil, me laisse glisser le long du poteau, je cours

Au douzième coup de minuit, je coupe le fil, me laisse glisser le long du poteau, je cours. L’obscurité est totale. Je longe la route vers le nord, sur cinq cents mètres, puis la clôture du périmètre de sécurité, plein ouest. J’ai fait mes calculs, comme un défi, bien sûr : mille mètres, deux minutes trente – mégalomane ou simplement ambitieux ? disons trois minutes, à cause de l’obscurité et du terrain accidenté : tout juste le temps pour Artémise de percer une saillie dans le double rideau de barbelés, et pour Bixente de parcourir les mille cinq cents mètres qui le séparent d’elle, dont les deux tiers en voiture.

Digression

Là, ami lecteur, si tu ne suis pas, reporte-toi à ton joli dessin que, j’espère, tu as fait à l’échelle.

Fin de la digression

Mes poumons brûlent, ma gorge brûle, je manque de trébucher à chaque foulée – je continue. Brutalement, tout va mieux. Le souffle est toujours aussi court, mon cœur bat toujours aussi vite, mais je vois enfin où je mets les pieds, je vois comme en plein jour.

Devant moi, Bixente qui vient de franchir le grillage d’enceinte revient sur ses pas et plonge à terre, je le rejoins. Nous, nous ne sommes pas directement dans le faisceau d’un projecteur. Je dis nous, car, bien sûr, Artémise est surprise alors qu’elle finit d’ouvrir la deuxième rangée de barbelés. Elle se jette à terre alors que déjà le tir d’une mitrailleuse lourde se fait entendre et que des éclats de roche jaillissent autour d’elle sous l’impact des balles. Elle se relève, court vers nous en zigzaguant. Enfin, vers nous, plutôt vers le bosquet signalé par d’Astignac, et dont aucun plan ne m’a finalement révélé l’utilité. En cet instant, je ne suis plus très sûr d’avoir encore la tête au calcul : cent mètres cross zigzag dame, treize secondes ? quinze ? vingt ? Il lui reste cinquante mètres. Quarante mètres. Trente mètres. Elle s’écroule, les tirs continuent.

— Bordel, l’enculé. Ton m’sieur Victor, j’vais l’tuer. On fait quoi Vaquette ?

Elle se relève, reprend sa course, toujours en zigzag, mais claudiquant, la main droite serrée sur son épaule gauche. Vingt mètres. Dix mètres. Elle trébuche, se relève immédiatement, reprend sa course, plonge dans la végétation. Les tirs cessent, puis, tout de suite, dans le silence, pour la deuxième fois de la soirée, on entend des cris, des aboiements.

— Toi, tu ne bouges pas. Quand la lumière s’éteint, tu cours la chercher, tu la ramènes à la voiture – si je n’y suis pas, vous partez pour Londres tous les deux, cette nuit.