Chapitre 28
:
Miracle

Miracle

Miracle. Soudain, le camp est entièrement plongé dans l’obscurité. Seuls, près de moi, les phares de la voiture éclairent droit devant elle. Cet incident provoque une seconde d’hésitation chez le tireur, le temps pour moi de plonger de côté, de rouler sur moi-même, de penser la suite logique : officier – uniforme – ceinture – holster. Je me redresse sur mes jambes, saisis le Luger accroché à ma taille, vois dans l’obscurité des éclairs qui sortent de la mitrailleuse, les vise, à peine plus haut, à peine plus loin, boum, boum, boum, puis un cri, le bruit d’un corps qui tombe, le rakatak de la mitrailleuse qui décrit un arc de cercle pour se diriger vers le ciel, enfin, un nouveau boum, beaucoup, beaucoup, beaucoup plus fort, immédiatement suivi par quelques autres, et, alors même que les projecteurs sont toujours éteints, on voit de nouveau comme en plein jour : le bunker de recherche et la moitié du camp sont en flammes. Dans cette lumière, je vise les deux Allemands assis à l’avant du véhicule : dans les dents, Battiston est vengé.

La rivière. Je balance le conducteur au sol, prends sa place, démarre, écrase l’accélérateur, fonce plein ouest, et, à dix mètres de la clôture électrifiée qui protège la rive et qu’il me faut bien détruire avant de gagner l’eau, passe le point mort et saute du véhicule qui s’encastre dans les câbles, les arrachant sans faire d’étincelles. Quel con ! deux fois. Vaquette, regarde les projecteurs, il n’y a pas de lumière, pas d’étincelles, parce que l’électri-cité ne fonctionne plus. Et puis, t’es con une deuxième fois, parce qu’aller te foutre à l’eau alors que tu peux ressortir, dans l’obscurité, par là où vous auriez dû entrer…

Digression

C’est vrai, j’ai raison. Je suis désolé. J’ai essayé, vraiment, je le jure, et Artémise et Bixente m’en sont témoins depuis le chapitre 14, d’utiliser mes performances sportives pour vous écrire une scène aquatique et épique, avec, pourquoi pas ? un crocodile et Tarzan, mais bon, je n’y arrive pas, ça ne colle pas, manifestement, ce n’est pas logique. Tant pis.

Fin de la digression

Je tourne le dos à la rivière, je cours, vers les barbelés, plein sud. Personne, semble-t-il, ne s’intéresse à moi, et peut-être est-ce même la première fois de ma vie que je ne le vis pas comme une insulte. Les survivants, valides, doivent probablement songer à s’enfuir, ou à éteindre l’incendie pour les plus héroïques. J’arrive à la clôture du camp, et je retire à l’instant tout ce que j’ai bien pu dire sur l’efficacité germanique, ce n’est pas comme ça que vous la gagnerez, la guerre : la percée d’Artémise dans le double rideau de barbelés est intacte. Je la franchis, je cours, passe la clôture d’enceinte qui n’est pas plus réparée, la longe vers l’est pour regagner la route, pense, de nouveau : ça y est, c’est la fin, je veux dire, j’ai gagné, lorsque, en face de moi, deux phares s’allument, m’aveuglent, et qu’une voix qui ne m’est pas tout à fait étrangère me crie :

— Vaquette, magne ton cul, faignant.