Chapitre 29
:
La nuit la plus longue

Je saute dans la voiture, petite, beaucoup trop petite pour son conducteur

Je saute dans la voiture, petite, beaucoup trop petite pour son conducteur. Il démarre.

L’électricité, c’est toi ?

Ouais. Je me suis dit que si leur groupe électrogène était toujours hs, ça te rendrait p’t-être service que je recoupe les deux fils sur la ligne.

Tu t’es bien dit. Tu l’as volée où, ta bagnole ?

C’est ton ami Jasper qui me l’a prêtée. C’est la sienne.

Elle ne te va pas, mais alors, pas du tout. T’es ridicule dedans.

Et toi, t’es jamais content ?

C’est pour ça que tu m’aimes, non ? Enfin, si, je suis quand même content que tu sois venu. Merci.

Tu connais ce mot ?

Oui. Ça veut dire pitié en anglais.

On fait quoi maintenant ?

On passe chercher Artémise, on attend une heure, et on file prendre l’avion. On sera à Londres demain matin. Monsieur Victor, t’en as fait quoi ?

C’que tu m’as dit, comme toujours. Je l’ai balancé sur le bord de la route. Vivant. Mais ça m’a fait chier.

C’est bien, Vaquette est fier de toi. En passant, on le récupérera pour l’emmener avec nous. On va quand même pas le laisser se démerder tout seul sur place, bon à rien comme il est, il est foutu de se faire encore arrêter.

Putain ! c’est pas possible ! L’incroyable, c’est toi ! Tu t’prends pour l’abbé Pierre ?

Non, je soigne simplement mon ressort dramatique : il ne me pardonnera jamais une mansuétude, une magnanimité dont il se révélerait incapable.

Nous arrivons. Artémise nous attend. Elle sourit, radieuse, en pleurs aussi – que disais-je que sa fidélité est jolie ?

Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai. Tu es en vie. J’ai eu si peur.

Eh oui ! Je me suis même offert le luxe – j’adore le luxe – de détruire le missile et le camp, de réussir seul la mission.

Je sais, tu gagnes toujours à la fin.

J’avoue que j’ai quand même failli un peu perdre, et puis, miracle, Zorro est arrivé, ou alors c’était Bixente, je ne sais pas, je ne sais plus.

Je lui ai fait du chantage. Je lui ai dit que s’il n’y allait pas, eh bien moi, j’irais seule.

Tu as fait du chantage ? Mais c’est très mal, sais-tu ?

Oh non ! C’est bien. C’est très, très bien.

L’heure passe, vite. Nous partons, après avoir vivement remercié Jasper l’IncroyablE, pour tout, pour sa voiture qu’il nous laisse, priant pourtant pour qu’il ne nous introduise pas par force en un de ses écrits, où, devenus grotesques, simples, trop simples personnages, nous illustrerions servilement sa pensée misanthrope.

Digression

La compagnie des auteurs a ceci d’insupportable qu’elle fait craindre de finir déformé sous leur plume, pire, révélé au monde, au demi-monde, au tiers, au quart monde même, à nos relations proches ou lointaines, à nous aussi sûrement, exactement tels que nous sommes. D’ailleurs, en annexe, on trouvera tous les noms vrais de ceux qui m’ont inspiré les personnages de ce roman, ainsi que leur adresse, leur numéro de téléphone et leur e-mail (ça fera branché, et puis, ça typera l’époque pour la postérité), au cas où une quelconque pigiste voudrait remplir une pleine page de culture trash-underground dans L’Humanité – ça, c’est dégueulasse, Vaquette ! Mais non, rassure-toi monsieur Victor, personne ne te reconnaîtra, probablement pas même toi. De toute façon, vous êtes tant dont la médiocrité et l’incompétence ont pu m’inspirer, la plupart pourtant infiniment moins arrivistes, ce qui les rend d’autant supportables.

Fin de la digression

Nous roulons.

Tiens, c’est là que je l’ai balancé.

Dans la lumière des phares, nous cherchons : plus rien, mon ressort dramatique a manifestement filé. Tant pis, nous reprenons la route, sans lui. Moins d’une demi-heure plus tard, nous arrivons sans encombre à hauteur de la cabane qui marque notre premier arrêt.

Voici la procédure que m’a détaillée d’Astignac pour notre rapatriement. Chaque nuit, peu avant le lever du jour, un avion anglais survolera la zone. Dans une cabane cachée dans la forêt, à cinquante mètres de la route, à trois cents d’une clairière qui sert de terrain d’atterrissage clandestin, se trouvent des torches prêtes à l’emploi. Il nous suffit de les allumer sur le terrain, selon un dessin bien précis, un code secret disons, pour que l’avion se pose et nous embarque. Si le pilote ne voit rien ou que la disposition des torches n’est pas conforme au modèle, il regagne Londres sans passager, et revient le lendemain, et ce, jusqu’à nous récupérer.

J’y vais. J’en ai pour cinq minutes. Vous m’attendez ici.

Je descends, pénètre dans la forêt, avance au milieu des arbres, et, à la lueur d’un briquet, aperçois la cabane. Je me dirige vers la porte. Brutalement, une main se plaque sur mes lèvres, un bras enserre ma poitrine, me couche à terre, et puis, tout de suite, je sens plusieurs hommes se précipiter sur moi. Deux me tiennent les jambes, deux, les bras, un m’écrase de tout son poids, pesant sur ma gorge avec une barre de métal, puis, tout se fige. J’attends, sur le dos, immobile, incapable de bouger. J’étouffe. Le temps semble une éternité destinée simplement à mourir, lentement. Je fais le point, le temps passe. Je réfléchis encore, je ne vois aucune issue. Si, attendre, et respirer doucement. Je perçois quelques mouvements furtifs autour de moi, et mon regard distingue une faible lueur, peut-être à une dizaine de mètres, qui semble avancer dans notre direction. J’ouvre brutalement la bouche, la referme violemment, je sens un os qui se brise sous mes dents, j’entends un hurlement, terrible, je crie à mon tour :

Cassez-vous ! Je suis pris !

La lueur s’éteint, l’homme qui était assis sur moi se lève d’un bond, la pression sur ma gorge disparaît, j’entends son pas qui s’éloigne, un pas de course, suivi de plusieurs autres, tire de toutes mes forces sur mon bras droit, le libère. Emporté par son élan, il poursuit sa course, frappe à la tête l’homme qui bloque mon bras gauche, pardon, qui bloquait mon bras gauche, avant de repartir, tel un ressort que quelques Allemands doivent trouver dramatique, pour heurter avec le coude le visage de son vis-à-vis. Au-dessus de moi, l’homme qui me tenait bâillonné hurle encore. Je me redresse, vois les deux phares de la voiture de Jasper l’IncroyablE se remettre en mouvement. Dans la clarté qu’ils diffusent, je perçois plusieurs soldats qui arrosent le véhicule à l’arme automatique. Je frappe d’un direct à la gorge l’homme couché sur ma jambe droite, libère mon genou qui entre en contact avec le visage du dernier soldat qui me retient encore au sol. Je me lève.

Digression

Je vais encore gagner, c’est agaçant, non ?

Fin de la digression

J’entends toujours des tirs, le bruit de la voiture qui s’éloigne, les tirs cessent, le moteur continue à tourner, loin à présent, de plus en plus, je cours, un mètre, puis, un choc violent, celui d’une barre de métal en pleine tête, stoppe mon élan. Je m’écroule.