Chapitre 5
:
Passage à l’acte

Le lendemain matin, je commençai la tournée des clubs de boxe de ma région, de boxe française bien sûr, probablement par fidél

Le lendemain matin, je commençai la tournée des clubs de boxe de ma région, de boxe française bien sûr, probablement par fidélité au charme désuet des Brigades du Tigre.

Digression

Je vous parle boxe, parce que j’y ai beaucoup appris, beaucoup appris sur moi surtout.

J’ai toujours été habité par une très grande violence. J’ai toujours haï la violence. Voilà l’une de mes névroses, probablement pas la moindre. Ajoutez à cela, pour compliquer le tout, ma lucidité qui me glisse à l’oreille : es-tu bien sûr que c’est moi, et moi seule, qui t’interdis tout débordement agressif, ne serait-ce pas plutôt ta lâcheté, ta peur des coups ? – ta gueule, t’es chiante.

Une névrose est, potentiellement, un moteur fabuleux, puisqu’elle interdit, sauf à rester en état de mal-être, l’immobilité. Elle force donc à résoudre dialectiquement les deux termes de la contradiction qui la créent, à trouver un compromis tenable et conscient entre deux parties de soi apparemment inconciliables, ou bien à trancher, à aller vers sa nature profonde contre sa nature apparente. Bien sûr, on peut, confortablement dans un premier temps, faire l’exact contraire, et nourrir ainsi sans fin sa névrose.

La boxe est un excellent vecteur de ce compromis. Parce qu’on s’y tape bien sûr (je dis ça aux mamans désireuses de faire faire du sport à leurs garçons turbulents, ou aux filles qui veulent se venger du salaud qui les a plaquées pour une blonde aux gros seins), mais, parce qu’il s’agit d’un sport, presque d’un jeu, le protège-dents en plus, parce que cette violence bien réelle est expurgée, disons, distanciée de sa colère, de sa haine, parce qu’enfin, à moins d’affronter Mike Tyson, on n’y risque pas une morsure à l’oreille, pas plus qu’un doigt dans l’œil (avec les gants, remarquez…), ou, comme dans le combat de rue, un coup dans les couilles porté par surprise qui vous laisse à terre, fini à coups de botte ferrée, sans espoir aucun de refaire votre retard aux poings, on a là la seule part, jolie j’allais dire, disons respectable, en tout cas inconséquente, de la violence.

Fin de la digression

— Tu t’prends trop la tête, me dit dès l’après-midi même Bixente qui manifestement lit mes digressions. Regarde-moi, regarde-le l’enculé par terre, est-ce que je le finis à coups d’pompe, à coups d’barre ? Non ? On lui a juste donné une p’tite leçon pour qu’il comprenne que maintenant, il va faire profil bas et plus faire chier personne jusqu’à ce qu’on ait viré Pétain à coups d’pied dans l’cul. Hein ? Dis au monsieur qu’t’as compris !

— Oui, ok, c’est bon, j’vais m’écraser.

Et c’était vrai, il avait l’air convaincu, moi moins. Pourtant, dès le lendemain, nous recommencions dans une autre piscine, jusqu’à visiter en quelques mois toutes celles de la région, poursuivant nos exactions, notre lutte pardon, avec la tranquillité de deux pères de famille jouant aux boules le dimanche.

Ainsi, sans avoir véritablement résolu grand-chose dans mon rapport à la violence, tranchant contre ma raison pour ma nature profonde, à moins que ce ne soit finalement l’exact contraire, avec pour seule ambition un peu ridicule de n’être pas lâche à mes yeux, avec aussi la fierté d’aller contre, contre ma nature apparente, peut-être même contre moi, sûrement contre ma (bonne) conscience, probablement bourgeoise (je veux dire pusillanime, lâche, modérée), surtout avec l’espoir d’être demain plus fort, je commençai à dériver vers une lutte définitivement plus violente.