Chapitre 46
:
Noir, c’est noir

Digression

Digression

J’ai trouvé. Un titre. Un nouveau titre pour ce roman. Un bien branché, furieusement tendance, avec lequel je suis certain d’être édité, peut-être même acheté, pas lu bien sûr, mais relayé par Les Inrocks, Nova, Ardisson ou Libé : Journal de bord d’un maniaco-dépressif. Non ? Tu veux qu’on rajoute « inceste » dedans ? Le prix peut-être : 19,90 euros.

Fin de la digression

À l’instar du premier rappeur venu qui s’est fait voler sa casquette Nike par un officier de la bac, j’ai la rage, j’ai la haine, je suis vénèr’, oui, car ils m’ont mis la fièvre. Et puis, à l’instar du même rappeur que la maîtresse guyanaise quitte pour retourner avec Costes – Dieu que ce roman est people – je suis triste, infiniment, comme souvent semble-t-il. Le mélange des deux m’est décidément coutumier, je l’appellerai misanthropie, ça n’étonnera personne.

Digression

Que croyais-tu mon p’tit Vaquette ? Comme tu es naïf ! quoi qu’en dise Artémise. Ainsi, tu espérais que tes actes, ils les aiment pour ce qu’ils sont ? Pauvre enfant, ils les aiment pour l’utilité qu’ils en tirent, et tant qu’ils restent dans ton halo, éclairés, même faiblement, par ta lumière – tant qu’ils comprennent. Ton roman regorge déjà d’anachronismes, d’incohérences, d’aberrations, d’approximations historiques, sportives, scientifiques ou militaires, tu ne le voulais tout de même pas totalement irréaliste, absolument chimérique, s’achevant sur ton triomphe, le peuple de France, allez ! même quelques-uns, à genoux avec grâce devant tant de grandeur ? Si ? Tu croyais vraiment toujours gagner à la fin ? Tu étais contre, et pourtant pour, disais-tu ? ce temps est révolu, sois-en certain.

Fin de la digression

Je rentre chez moi, enfile mon uniforme, accroche mes médailles sur ma poitrine, place un pistolet dans mon holster, un autre caché sous mes vêtements, prends quelques chargeurs, deux grenades aussi, et, un pistolet-mitrailleur à la main, retourne pacifiquement en ville, mais bon, faudra tout de même pas trop me faire chier.

Interlude

En anglais, j’aime bien le mot : wander, pour son sens, bien sûr, probablement aussi pour sa proximité phonétique avec wonder. Ça me rappelle une chanson de Mélanie :

« I’ve gotten rid of my guilt and my lily-white

[…] Just go wandering alone to learn that I’m the guide

At least it keeps me believing. »

Et puis, quelque lignes plus tôt.

« We use to be glowing

But I wouldn’t be growing now

[I would be dying]

If I needed you. »

Fin de l’interlude

Je marche dans les rues sans but réel, sans but avoué, mais mes pas me conduisent naturellement au siège de la kommandantur désormais pavoisé en bleu blanc rouge. Je me dirige vers l’aile gauche, pénètre à l’intérieur du bâtiment, sans sauter le mur d’enceinte, sans frapper les gardes, non, ils me saluent même.

Digression

Voilà, les distinctions sociales ne servent qu’à cela, et ce n’est pas rien, comme la nationalité française n’est rien d’autre qu’un outil, infiniment plus pratique que l’algérienne, pour obtenir un visa vers un pays étranger, et ce, quelle que soit la destination (peut-être même l’Algérie, cruellement, si on est opposant politique).

Fin de la digression

Je monte l’escalier, un frisson violent dans la colonne vertébrale, me dirige, mû par une évidence, vers la salle d’interrogatoire. Peut-être ai-je tout bêtement besoin de me rassurer, de m’assurer que je suis bien le héros que je prétends être, ou, au contraire, d’éprouver quelques regrets, de faire taire par avance d’éventuels remords quand tous me reprocheront mes actes – tout ça, pour ça, pour eux ? Oui, à cet instant, ma pensée est absolument noire.

Digression

Je reviens sur mes pas – dans la forêt profonde – croise de nouveau le rat crevé, le corbeau, le vautour, les quelques chauves-souris, les arbres noirs, le vent violent, le froid glacial, les marais profonds, mais la pancarte du chapitre 30 n’est plus là. À sa place, un simple mot griffonné à la main : « Niqué Vaquette. »

Fin de la digression

Je passe devant ma cellule, mon ancienne cellule disons, j’avise la porte, des picotements violents irradient tout mon corps, la sensation est féroce, telle que je l’attendais – je souris. Je m’approche encore, tends la main, saisis la poignée, et là, venant de l’intérieur de la salle, j’entends une voix qui ne m’est pas tout à fait étrangère.