Chapitre 8
:
Nique la police

Fin 1941 (déjà), nous sommes de nouveau, cette fois à trois, entrés dans une certaine forme de routine

Fin 1941 (déjà), nous sommes de nouveau, cette fois à trois, entrés dans une certaine forme de routine. Pourtant, très vite, se posent deux questions – je vais faire court.

1) Notre appartenance à un réseau : c’est non (cela arrivera bien assez tôt, dans un peu plus de deux ans, et seulement quatre chapitres), je ne veux pas, par haine de toute autorité bien sûr, surtout car mon chemin dans la forêt ne doit appartenir qu’à moi pour prendre toute sa valeur, sinon c’est pas du jeu. Bixente est d’accord (« J’emmerde les planqués de Londres »), Artémise moins, encore qu’à bien la regarder, elle semble ravie que nous restions seuls tous les trois. Je vais dire une bêtise (oui ! même moi) car je ne la connais que depuis peu, mais je crois que notre insolence, notre fraîcheur, notre irrespect pour finalement tout semblent la rajeunir.

2) Beaucoup plus problématique, l’évolution de nos opérations, et plus précisément, le recours à la violence armée. C’est à cette époque que tout se joue. Nous aurions pu alors, probablement avec autant de courage, de détermination, peut-être même de gloire, devenir passeurs, propagandistes, fabricants de faux papiers, justes parmi les justes, et ce roman n’aurait jamais vu le jour. Alors, ami lecteur, tu te serais plaint à mon éditeur, qui se serait plaint à moi, et je serais mort, famélique, inconnu.

Artémise et Bixente voient dans le recours aux armes l’évolution naturelle, évidente de notre engagement, d’autant que nous avons conscience que nos actions deviennent chaque jour plus anachroniques. Moi, je résiste.

Oui, j’ai résisté.

Indéfiniment empêtré dans ma casuistique, je prône une solution plus pacifique, mais je suis peu entendu, car peu convaincant, car peu convaincu, probablement car il me tarde à moi aussi de jouer à la guerre, comme lorsque j’étais petit, à la différence près, elle est immense, que j’ai trouvé deux camarades de jeu.

Je marche dans la rue, je pense à ça. Une grosse voiture noire freine brutalement et s’immobilise deux mètres devant moi. Les portes s’ouvrent, deux types sortent, empoignent sans ménagement un passant entre deux âges au physique quelconque :

— Police française. Tu nous suis gentiment.

Disant cela, le premier type s’assied à l’arrière, tire le passant, tandis que son collègue le pousse dans la voiture à l’instant même où mon pied part, tout seul, vers son foie, puis vers sa tête, on appelle ça un chassé, enfin deux, et un ko aussi. Je pousse le passant qui semble paralysé, et, dans l’embrasure de la portière arrière, me retrouve nez à genoux avec le deuxième flic qui empoigne son revolver, puis le laisse rapidement tomber à terre lorsque son nez explose – boxe thaï, leçon numéro un. Le conducteur alors me regarde. Dans sa main, un pistolet braqué sur moi. Je me jette à terre en claquant la portière qui bloque la première balle, ramasse le revolver que son collègue a laissé tomber, entends une deuxième détonation, un bruit de verre brisé, reçois quelques éclats, et, à travers la vitre cassée, vois le conducteur qui met un pied dans l’eau, enfin, un pied dehors, dans une flaque, deux pieds dans l’eau, dans la même flaque, puis se lève, sort du véhicule, et se rassoit brutalement, une balle dans le dos. Je fais les poches de ma première victime, récupère son revolver, saute par-dessus le capot de la voiture, balance le conducteur sur la route, ramasse son pistolet, crie au passant toujours pétrifié : « Montez, vite ! », m’assois, enclenche la première, écrase l’accélérateur :

— On va où ?

— Ami-camarade tueur, je crains qu’une question plus urgente ne se pose à nous.

— Laquelle ?

— Eh bien, que faire de notre ami-camarade policier qui gît dans une demi-somnolence aux côtés de Jasper l’IncroyablE ?

— Merde. Balancez-le !

— Vous gaussez-vous ? À l’allure excessive à laquelle se meut notre véhicule dans sa fuite, Jasper l’IncroyablE risque d’occire le pauvre homme.

Je pile. La voiture stoppe, en quatre-vingt-dix-huit mètres quarante-deux.

Digression

Questions : à quelle vitesse roulait le véhicule ? Cette vitesse vous paraît-elle excessive a) en ville ; b) bourré ; c) en traînant, au choix, un flic ou un Arabe (ça dépend si on est flic ou arabe) ? Réponse à envoyer à M. Gilles de Robien (lui, ou l’un de ses successeurs), ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement, la Grande Arche, 92055 La Défense cedex Tél. : 0140812122 (une spéciale dédicace de Vaquette pour celui qui arrive à obtenir une réponse de circonstance du ministre ou, pour le moins, de son chef de cabinet).

Fin de la digression

— Balancez-le !

Timidement, il ouvre la porte, et, avec beaucoup d’efforts et peu de réussite, il tente de faire glisser le corps hors du véhicule. Je sors, vite, balance le flic sans ménagement, claque la portière, m’assois, enclenche la première, écrase l’accélérateur :

— On va où ?