« UN PRINTEMPS BIZARRE » est né d'un constat.

La création artistique est aujourd'hui en France sommée de choisir entre deux facettes d'une même réalité, d'un même système: " l'entertainment " dont l'ambition exsangue se réduit à distraire un public le plus large possible, et un art institutionnalisé, officiel, tout aussi conformiste, aussi peu dérangeant, à l'attention quasi exclusive d'une bourgeoisie culturelle (qui assiste encore à un opéra, à l'exposition d'un peintre contemporain, à un concert de musique moderne, à une pièce de théâtre même ? qui lit encore la " littérature primable " lorsqu'elle n'est pas primée ?).

A l'une, pour vivre, le marché et la publicité, à l'autre, les subventions et le soutien de la critique. Entre les deux, exister devient une gageure, nous l'appellerons censure.

Censure morale d'abord, d'autant plus pernicieuse que l'une des croyances incontestables, indiscutables du " culturellement correct " est justement que toute contestation est aujourd'hui permise. Quel conformisme intellectuel faut-il pour ne pas voir que la contestation permise (critique de la police, de l'interdiction du cannabis, de l'intégrisme religieux, des lois Pasqua-Debré-Chevènement, de l'extrême-droite ...) est celle qui ne choque guère que les plus réactionnaires des censeurs, et que si cette contestation est légitime, elle ne peut prétendre s'attaquer aux idées dominantes de notre époque, et, qu'en revanche, une contestation réellement subversive, moderne, n'est jamais relayée, lorsqu'elle n'est pas pénalement poursuivie ?

Censure économique ensuite, tant le marché s'est durci (comme ils disent), non pas au détriment des grosses productions nationales et internationales, mais bien au détriment de la pluralité - qui peut le nier ? Quant aux subventions, quel " responsable " prendra le risque de s'attirer les foudres d'un plus haut responsable en les accordant à quelqu'un qui " pense mal " ? Ainsi, la censure morale nourrit la censure économique.

Qui à leur tour nourrissent la censure médiatique. Comment parler d'un artiste dont le discours attaque de front la ligne éditoriale du média auquel on appartient, et qui, de plus, ne s'adresse qu'à un public restreint ? Et puis surtout, dans quelle rubrique, dans quelle boîte mettra-t-on un événement qui n'est pas tout à fait du théâtre, ni tout à fait du rock, pas vraiment de la peinture dans une galerie du VIème ou du VIIIème arrondissement parisien, ni un festival de courts métrages à la cinémathèque, et encore moins un meeting révolutionnaire, politique ? Sans étiquette, pas de soutien médiatique. Sans soutien médiatique, pas de diffusion des idées et des formes générées par des artistes condamnés de fait à rester marginaux (les idées, les formes, et les artistes). Ainsi, en retour, la censure médiatique nourrit la censure morale et la censure économique, nous appellerons cela un " cercle vicieux ".

Pourtant, nous ne sommes pas résignés, et, constatant qu'il existe un public de plus en plus large pour refuser le conformisme intellectuel et artistique ambiant, pour réclamer " autre chose " que ce qui lui est généralement proposé, nous sommes déterminés à tenter de briser ledit cercle (vicieux, donc).

Pour briser la censure morale, présentons, certains qu'elles se défendent d'elles-mêmes, nos idées et nos formes à tous ceux qui voudront bien les regarder, les entendre, sans le miroir déformant d'une cour de justice ou de légendes infondées.

Pour briser la censure économique, unissons nos forces, procédant ainsi à des économies d'échelles (comme ils disent); offrons également au spectateur un tarif libre (adapté à ses moyens, pas cher pour ceux qui ont peu d'argent, plus cher pour ceux qui en ont plus, en libre responsabilisation) parce que la censure économique est là aussi.

Pour briser la censure médiatique, utilisons des moyens de promotion alternatifs (un journal, un mailing, un site internet ...), créons un événement qui se veut d'importance (« UN PRINTEMPS BIZARRE »), et aussi une boîte, nouvelle, à vocation pluridisciplinaire, que nous appellerons Trash-Intello, parce qu'il faut bien une étiquette.

Mais qu'est-ce ? Manifestement une démarche qui réfute à l'égale la culture institutionnalisée et le marché du loisir, qui prône courageusement l'ambition artistique en refusant violemment la culture aseptisée, consensuelle, et qui, enfin, ne se résigne pas à la censure qu'elle subit.

TRISTAN-EDERN VAQUETTE,
INITIATEUR ET COORDINATEUR DE
« UN PRINTEMPS BIZARRE »