Vaquette fait la manche

 

 

Putain ! J’y crois pas ! L’IndispensablE en personne, le Vicomte de Gribeauval, le Prince du Bon Goût, le dandy punk roi de la nuit parisienne – là, je l’admets, j’ai menti –, toi dont l’orgueil altier n’est jamais tombé moins haut que la plus haute des cimes, tu en es réduit à mendier comme le dernier des crevards squatteux ou des peintres underground du 9-4 (laissez, je me comprends) ? Franchement Vaquette, c’est pathétique.

 
 

Et effectivement, je vous le concède, c’est pathétique. Je dois même confesser que j’ai longuement hésité avant de mettre en ligne cette page tant je craignais l’incompréhension et les remarques cauteleuses de certains d’entre vous, mon public adoré, mon amour. Et puis, plus j’avançais dans ma réflexion, plus m’est apparu comme une évidence qu’il ne s’agissait là que d’une étape supplémentaire dans la droite ligne de l’autoproduction sérieuse, ambitieuse même (j’entends celle qui n’a rien à voir avec un quelconque Yo ! Trop cool ! On vient jouer chez toi si tu nous payes la bière ! ou Allez ! Prends-le, mon skeud, il est trop bien, s’te plaît, j’te l’donne !) ou de l’entrée en libre responsabilisation que je pratique depuis de nombreuses années (ou également, par exemple, de la création de Un printemps bizarre, etc., bref, dans la droite ligne de l’éthique DIY, Do it yourself, de mes racines punks). Aussi, je vais tenter ici, non pas de me justifier, non pas de vous convaincre, mais simplement de vous expliquer ma démarche, disons dans un souci de cohérence intellectuelle, cohérence intellectuelle à laquelle je suis particulièrement attaché.

Je l’ai dit et écrit souvent, la logique du tout gratuit qui s’impose depuis plusieurs années, notamment à cause et au travers du web, ne permet d’aboutir qu’à l’amateurisme, c’est-à-dire à la médiocrité par manque de temps et de moyens, ou au financement par la publicité qui, comme chacun le sait, n’aspire qu’à soutenir des niches marketing "bizarres, décalées, hors normes, alternatives, contestataires, trash, subversives, anticonformistes, underground – appelez ça comme vous voulez"… Face à ce constat, nous sommes nombreux, enfin, je crois, à rêver de pouvoir proposer sur nos sites un système de micropaiement, je veux dire, très pratiquement, que beaucoup d’entre vous ont passé une heure, plusieurs peut-être, sur le fort beau site de l'IndispensablE, qu’ils y ont téléchargé (intégralement, sans DRM et sans virus) des chansons plus ou moins drolatiques, qu’ils ont peut-être piraté en P2P le DVD de J’veux être Grand et Beau ou lu Je gagne toujours à la fin en bibliothèque, bref, qu’ils ont eu accès à mon travail sans jamais débourser un centime, et c’est très bien comme ça car le plus important à mes yeux reste la diffusion du travail en question. Enfin… quand je dis et c’est très bien comme ça, je veux dire naturellement, à condition que cette démarche de liberté s’accompagne d’une nécessaire réflexion sur sa propre responsabilité – sinon, c’est pas du jeu. Car de deux choses l’une, soit ce temps de cerveau occupé n’a aucune valeur à vos yeux et, de vous à moi, vous n’avez pas grand-chose à foutre de votre vie pour perdre ainsi votre temps sur Internet, soit il possède une quelconque valeur, ce que je souhaite ardemment bien sûr, et alors – abracadabra ! –, il ne me reste plus qu’à vous donner la définition communément admise de l’argent pour que vous en tiriez, seuls et brillamment, la conclusion qui s’impose : l’argent n’est rien d’autre que le moyen d’échange de la valeur sociale – je vous laisse réfléchir à ça pendant cinq minutes.

(Cinq minutes plus tard.)

L’argent n’est rien d’autre que le moyen d’échange de la valeur sociale, je la répète car elle est importante, cette phrase. La société en général, et conséquemment beaucoup d’entre vous, ont une approche pour le moins ambiguë et souvent empreinte d’une jalousie fort peu estimable du rapport qui existe entre – pour reprendre deux termes éminemment vaquettiens – le choucroutiste et le poignon. Ça vous embête, n’est-ce pas ?, qu’on gagne de l’argent avec notre travail. Comme si la vie merveilleuse, et libre surtout (à croire que c’est un grand crime que la liberté), que vous nous prêtez, avec des intérêts usuraires (rassurez-vous, on s’en rend bien compte), devait se payer par la misère la plus noire – éternellement, le complexe judéo-chrétien du péché originel qui nous condamnerait à renoncer au paradis terrestre et à expier d’hypothétiques fautes par une vie de souffrances, de frustrations et de contraintes. Je n’invente rien, Ferré l’a dit avant moi : "Dis donc Léo, ça ne te gêne pas de gagner de l’argent avec tes idées ? Non, ça ne me gênait pas, non plus, de n’en pas gagner avec mes idées, toujours les mêmes, il y a quelques années. Vois-tu, la différence qu’il y a entre moi et M. Ford ou M. Fiat, c’est que Ford ou Fiat envoient des ouvriers dans des usines et qu’ils font de l’argent avec eux. Moi, j’envoie mes idées dans la rue, et je fais de l’argent avec elles. Ça te gêne ? Moi, non. Et voilà !"

L’argent n’est rien d’autre que le moyen d’échange de la valeur sociale (et la répétition est la base de la pédagogie), or, moi, je pense que je suis plus à ma place, plus utile au corps social en poursuivant mon chemin de choucroutiste avec l’intégrité qui depuis toujours m’habite, que si j’étais resté au Collège de France à faire semblant de chercher avec probablement peu d’espoir de réussite quelque nouvelle théorie de physique théorique, physique que j’appréciais, certes, mais qui elle ne m’habitait pas. Et pourtant, la société se montre notablement moins généreuse lorsque, aujourd’hui, je m’investis corps et âme dans… mon métier que si j’avais su m’organiser une vie de fumiste, vaguement enseignant et faussement chercheur une dizaine d’heures par semaine, beaucoup moins même que si je servais des frites chez M. et Mme McDonald’s à des jeunes cons obèses ou si je faisais chier des clochards, une matraque à la main, dans l’enceinte du métro – peste !, il faut croire que je suis fou (mais c’est un joli mot, fou) et qu’objectivement Vaquette est moins utile à la société qu’un vigile ou qu’un vendeur de hamburgers.

Admettons.

Sauf que… me souffle mon mauvais esprit (je ne vous apprends rien) : si tel est bien le cas, comment, peste !, le corps social s’arrange-t-il avec sa cohérence intellectuelle (à moins qu’il n’y ait que moi qui y soit attaché dans notre pays qui se targue pourtant tant des Lumières, à cette satanée cohérence intellectuelle ?) lorsque, un siècle après sa mort (dans la misère, j’imagine qu’il est inutile de le rappeler), on vend plusieurs dizaines de millions d’euros un tableau de Van Gogh et que, par-delà ce snobisme matérialiste et indécent, sa peinture fait vivre aujourd’hui des milliers de personnes – beaucoup plus peut-être – dans les musées du monde, les fabriques de posters ou les boutiques de souvenirs, sans même compter tous les parasites de la culture du ministère du même nom, de celui de l’Éducation nationale, des MJC ou de Télérama qui seraient bien en peine de justifier leur utilité sociale s’ils n’avaient à exhiber pour se légitimer aucun choucroutiste mort mais uniquement les artistes vivants qu’ils soutiennent.

Mais vous êtes merveilleux et moi injuste : votre grandeur d’âme vous interdit la basse jalousie et votre immense lucidité vous permet d’échapper à l’incohérence intellectuelle de la plupart. Conséquemment vous êtes conquis par mon pro domo – tant mieux ! –, du moins je ne vais à présent plus parler qu’à ceux-là (les autres peuvent aller se détendre ici).

Poursuivons donc sur Van Gogh.

C’est une tarte à la crème que de louer Théo, son frère, qui lui a permis, en le soutenant financièrement, de consacrer sa vie à la peinture. Car derrière cette image d’Épinal, regardons, plus en profondeur, la question, vraiment intéressante je crois, qui se cache en filigrane. Est-ce que Théo aide son frère à cause, ou plutôt grâce à ce lien de parenté, et qu’il est bien naturel d’aider sa famille dans la difficulté ? Ou est-ce que Théo, ayant conscience que Vincent possède une utilité sociale qu’il juge bien réelle, et même précieuse car unique (ce qui ne serait que justice puisque chacun, loin de l’indifférence et de l’aveuglement de l’époque…, le reconnaît unanimement sans peine aujourd’hui) lui permet de s’y consacrer pleinement, ne faisant ainsi que son… disons… devoir d’amateur d’art (et même de citoyen), devoir dont il est regrettable qu’il ait été le seul à assumer la charge ? La question vous paraîtra peut-être anecdotique – admettons de nouveau – mais, moi, je pense a contrario qu’elle est essentielle, centrale dans toute cette problématique.

Dans le premier cas, il ne s’agit que d’une histoire de famille, certes jolie, mais finalement assez banale et sans grande portée sociale, politique, morale ou intellectuelle, rien d’autre que le constat sordide que font les Svinkels, que je partage, et qui nous envoie tous les quatre droit dans le mur : « Putain d’salaire de misère, un trentenaire qu’a besoin de sa mère ! » Dans le second cas, nous sommes au cœur d’un rêve qu’il m’arrive de faire depuis longtemps déjà, ou mieux, d’une vision, d’un Fraunhofer pour utiliser de nouveau une sémantique éminemment vaquettienne. Je vous rassure, je suis fou peut-être, mais je n’ai pas pour autant perdu tout à fait le sens des réalités et j’ai bien conscience qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’une utopie (mais c’est un joli mot lui aussi, utopie) qui pratiquement n’a aucune chance de se réaliser – ouf ! tu nous as fait peur, Vaquette, on aurait pu mal te comprendre et imaginer que tu voulais réellement nous piquer de la caillasse.

Ma vision, la voici : qu’une centaine d’entre vous, ceux qui considèrent que mon travail a de la valeur à leurs yeux et, par-delà, une valeur sociale "bien réelle et même précieuse car unique (ce qui ne serait que du bon sens…)", m’envoient chaque mois dix euros. Ce n’est pas grand-chose dix euros, si ?, et d’ailleurs, beaucoup d’entre vous les dépensent peu ou prou pour des abonnements à des journaux militants ou des cotisations et autres soutiens à des structures activistes qu’ils jugent utiles socialement – voyez, nous y revenons, à l’utilité sociale : ma cohérence intellectuelle, toujours (vous apprécierez au passage, j’espère, que je n’ai pas eu la bassesse de vous culpabiliser en vous signifiant que dix euros, vous les dépensez allègrement en cigarettes, en cannabis ou en bières chaque mois…). Ce n’est pas grand-chose, certes, et pourtant, ça ferait (pardon, ça aurait fait puisqu’il s’agit d’une utopie qui pratiquement n’a aucune chance de se réaliser) mille euros par mois, de quoi assurer une assise financière stable qui permet à un choucroutiste de pouvoir se consacrer moins intranquillement à son travail.

Parce que tout de même, pour revenir à Van Gogh, à sa famille et aux Svinkels, vous trouvez normal, vous, que ce soit ma merveilleuse maman que j’encule dans mes chansons tandis qu’elle suce le dalaï-lama (j’ai modifié le texte récemment) qui, dans la pratique, subventionne seule plus souvent qu’à son tour mon travail ? Et questions subsidiaires : vous en penseriez quoi si, demain, pour plaire à un public plus large et faire péter la caillasse, les tasses et la grosse paire de Nike, mes spectacles, mon prochain roman, mes chansons devenaient, disons pudiquement, moins exigeantes, plus accessibles ? ; et si je me transformais en un bon chien, que j’arrêtais de cracher sur tout, sur tous et tout le temps et qu’à force de tendre la patte, soumis, au maître qui donne si généreusement en France des subventions à ses artistes de compagnie, je finisse par manger dans l’écuelle du ministère de la Culture sans même que le maître en question n’ait à craindre que je lui morde la main (je n’écris pas et que je lui transmette la rage, ces gens sont parfaitement vaccinés et ne courent aucun danger), pensez-vous que ce serait une jolie évolution de mon travail et de mon parcours ? ; et si je produis encore moins que je ne le fais aujourd’hui parce que mon temps se perd pratiquement à enseigner la physique en lycée (avec le risque bien réel – j’ose espérer que vous en assumerez les conséquences ! – d’achever ma vie en prison pour pédophilie), au fond, vous vous en foutez complètement ? ; et si, enfin, j’arrêtais tout net de faire Vaquette parce qu’au bout d’un moment, c’est pénible d’avoir le sentiment de dépenser tant (d’énergie, de temps, de valeur sociale – toujours elle –, d’exigence…) pour recevoir si peu en retour (je sais !, je raisonne comme un épicier : viens-y ducon et après on en reparle !), ce serait mon problème à moi seul ?

 
 

 

Bah ! De vous à moi, entre toutes ces solutions pratiques pour pouvoir générer du… poignon et donc du temps et de l’indépendance, la solution d’un don libre et responsable des quelques-uns qui suivent mon travail avec intérêt, j’ai beau tourner le problème dans tous les sens, il ne me semble pas que ce soit, et de loin !, la solution la plus infamante. Je vous laisse de nouveau réfléchir à ça pendant, disons… allez !, le temps d’un clic sur le lien en haut à droite de cette page, ou, mieux encore, sur celui juste à côté de cette colonne.

 
 

L'IndispensablE, décembre 2006


 

Dons suggérés : Indigents (encore que, un indigent avec une liaison web et une carte bancaire, faut quand même pas trop se foutre de ma gueule…) : 5 € ; Pauvres : 12,47 € ; Moyens pauvres : 20 € ; Moyens riches : 50 € ; Riches : 100 € et (beaucoup) plus.
Pour les militants (utopiques et plus vraisemblablement encore hypothétiques) du Grand Mythe Vaquettien : 10 € par mois jusqu’à ce que l'IndispensablE devienne la putain de reusta qu’il mérite.

PS : Évidemment, vous pouvez procéder à un don par chèque à l’ordre de "Du Poignon Productions" : Du Poignon Productions, Le Bois de Saint-Jean, 03170 Saint-Angel.